LA GARE DE
WASSY
Le 10 décembre 1868, la France
était un Empire, et c’est une Société Anonyme autorisée par « décret de l’Empereur Napoléon », la Compagnie
du Chemin de Fer de Wassy à Saint-Dizier, qui venait de construire la première ligne ferroviaire atteignant Wassy.
C’est cette ligne qui, prolongée en 1881 jusque Doulevant-le-Château et peu modifiée, dessert toujours Wassy.
Toutefois, il faudra attendre 1892, et la construction de la ligne Troyes-Wassy-Nancy, pour voir la ville de Wassy dotée d’une Gare digne de son rang de Sous-Préfecture, en remplacement du modeste établissement de 1868.
Pour des raisons stratégiques, le propriétaire constructeur de la partie centrale de cette nouvelle ligne (Brienne-Wassy-Sorcy) sera l’Etat.
Les moyens financiers de celui-ci vont permettre la réalisation d’une grande ligne à double voie aux caractéristiques remarquables, reliant, sur un tracé des Ingénieurs en Chef Thanneur et Küss, Wassy à Sorcy (point de raccordement sur la ligne Paris-Strasbourg), par un chapelet de tunnels et de très élégants viaducs.
A l’exception des arrivées dans les principales gares, les rayons des courbes descendent rarement en dessous de 1100 m
ou 1200 m
(et plutôt 1525 m
mini entre Troyes et Brienne). Les rampes ne dépassent pas 0,9 % : exactement comme sur l’actuelle ligne Reims-Epernay, par où transite tout le trafic fret entre le nord et le sud de la Champagne
…
La Troyes-Wassy
-Nancy, ainsi tracée pour permettre une moyenne de plus de 180 km/h
, était donc une véritable deuxième Paris-Strasbourg, via la capitale des Comtes de Champagne… et la meilleure liaison ferroviaire ayant existé entre Troyes et Nancy.
Au croisement de la Troyes-Wassy
-Nancy et de la Saint-Dizier
-Wassy-Doulevant :
le cœur de l’étoile ferroviaire de Wassy,
la Gare
de Wassy :
De Troyes à Sorcy, le seul chef lieu d’arrondissement rencontré sur le tracé était… Wassy. Là aussi, les moyens du constructeur allaient se révéler dans la nouvelle gare qui devait être la vitrine, le point d’orgue de la ligne, notamment lors de l’inauguration par le Président de la République
, Sadi Carnot, le 1er juin 1892 (le train présidentiel, en provenance de Nancy, parcourut toute la ligne, et s’arrêta à Wassy, lieu de la manifestation d’inauguration). La Gare
de Wassy et la Troyes-Wassy
-Nancy eurent en effet cet honneur d’être inaugurées par un Président de la République
… honneur que ne connût point la LGV
Est
et ses gares TGV !...
La Gare
de Wassy, dont le faisceau est long de plus de 1000 m
, bénéficie ainsi de six voies à quai, complétées par une septième voie d’évitement, avec réservation des emprises d’une huitième (équipements comparables à l’actuelle gare de Nancy)… Et il convient d’ajouter à celles-ci les quatre voies de service de la partie marchandises…
Une gare œuvre d’art…
La Gare
de Wassy est exceptionnelle par ses dimensions ; elle l’est aussi par la qualité de ses constructions au plan particulièrement réussi : le meilleur plan type de base des Chemins de Fer de l’Est… sans les habituelles adaptations locales «d’ingénieur» (ailes allongées ou tronquées par exemple) que l’on rencontre partout ailleurs. A Wassy, les proportions et les équilibres voulus par les architectes ont ainsi été respectés, telle, notamment l’application de la règle du rectangle d’or que l’on retrouve sur le Bâtiment Voyageurs («le BV») de Wassy et sur la halle à marchandises, et qui confère à ces constructions leur allure si harmonieuse, leur équilibre.
La gare est également remarquable pour la qualité de ses éléments décoratifs : intérieurs, tels ses boiseries, ses faïences peintes à la main, l’immense pavage en cubes (de un dm3) de chêne du pays dans la halle ; ou extérieurs tels ses candélabres ou son «Jet d’Eau». Cette fontaine monumentale en fonte d’art locale, a été érigée, fait rare, dès la construction de la Gare
, dans les emprises de celle-ci, en lisière de la cour des voyageurs, côté ville…mais dans un positionnement typiquement ferroviaire : juste dans l’axe entre le BV et le bâtiment sanitaire, de façon à pouvoir être admiré par des voyageurs situés à bord d’un train, sans qu’aucune construction ne fasse écran.
Ce Jet d’Eau marque la limite entre l’univers minéral de la partie fonctionnelle de la Gare
, monde du voyage, du départ, du dépaysement, et l’univers végétal du Parc de la Gare
, monde de l’enracinement : deux mondes générateurs de rêves, en lisière desquels le Jet d’Eau formait une porte fluide, courante, jaillissante. Le Jet d’Eau agrémente ainsi la Place
de la Gare
, tout en faisant déjà partie du Parc de la Gare
, autre «équipement» exceptionnel réalisé, en même temps que les plantations, également dès l’origine de la Gare.
Le Parc de la Gare
de Wassy, créé autour des deux tours massives des châteaux d’eau destinés à l’alimentation des locomotives à vapeur (un de 150 m3
, et un de 250 m3
), compte encore aujourd’hui beaucoup de survivants des collections d’essences rares qu’il abritait : lilas, tamaris, résineux de toutes sortes, du pin de l’Himalaya au séquoia, en passant par les thuyas, les cèdres et les cyprès…
La fonction des plantations était très importante dans la Gare
de Wassy. Les grands alignements de platanes ainsi que les bosquets de lauriers, fuchsias et lilas contribuaient au spectacle des jeux de perspectives voulus par les concepteurs de la Gare. Ces
perspectives jouaient sur les symétries entre la fuite parallèle des rails, des quais, et des abris de quais, et les alignements d’arbres, avec mise en valeur des coupures des différents plans par des plantations perpendiculaires aux voies. Ces jeux de plantations révélaient le talent des jardiniers paysagistes qui avaient spécialement pensé ce décor végétal pour qu’il complète parfaitement le décor ferroviaire. Ils présentaient un intérêt esthétique certain, laissant sans doute chez le visiteur, une impression proche de celle produite par la mystérieuse et fascinante «gare forestière» du peintre Delvaux. Ces plantations méritent d’être reconstituées, car elles constituent un élément singulier du patrimoine ferroviaire de l’Est français, une telle recherche d’harmonie entre le milieu ferroviaire et un décor végétal n’ayant été poussée à ce point nulle part ailleurs. Cette singularité de la Gare
de Wassy lui avait d’ailleurs valu un prix spécial du Touring Club de France, dans les années 1920.
Côté voie ferrée, les plantations semblent guider l’œil, l’inviter à l’arrêt devant le «BV». Côté ville, il en est de même : les alignements de platane de l’Avenue de la Gare
renforcent la perspective de cette rue qui, grâce à sa montée rectiligne depuis le «pont de fer» (Hachette et Driout) sur la Blaise
, donne un caractère véritablement théâtral à l’arrivée sur la scène de la Place
de la Gare
, face au décor monumental de la façade de la Gare.
Une gare désormais dédiée aux arts…
Rendre hommage aux concepteurs et aux réalisateurs de la Gare
de Wassy, architectes, décorateurs, ébénistes, paysagistes, pour leur talent et leur volonté singulièrement exprimée en Gare de Wassy, de développer une adaptation des arts et des métiers d’art au milieu ferroviaire (et de faire ainsi ressortir la valeur artistique, esthétique, d’un décor qu’on aurait pu imaginer a priori simplement fonctionnel), sera une des fonctions de l’écomusée de la Gare
de Wassy, qui présentera cette gare totalement reconstituée dans son état du 19ème siècle.
Tout en restant une vraie gare, à nouveau desservie par trains de fret et touristiques depuis 1994, et à l’avenir, certainement reliée à nouveau à Saint-Dizier par trains de voyageurs, cadencés, la Gare
de Wassy sera ainsi avant tout une gare des arts.
Le choix de son cadre par plusieurs réalisateurs de films long métrage (« Je m’appelle Victor » de Guy Jacques en 1992, « Un vrai bonheur » de Didier Caron en 2004) montre d’ailleurs que son intérêt esthétique fait de cette gare plus qu’un simple témoin historique illustrant l’application des métiers d’art au ferroviaire.
La Gare
de Wassy est appelée à être la gare de tous les arts.
LA GARE DE
WASSY, C’EST LA GARE DES ARTS !...
Jean-Luc Chapron
Président des Amis de la Gare
de Wassy
Exposition d'art contemporain en Gare de Wassy,
octobre 2007.